I.1.1.b) La dialectique de la croyance et de la crainte
I.1.1.b) La dialectique de la croyance et de la crainte
A la lumière de ce que nous avons dit plus haut, ce qui nous semblerait être l’indice le plus important d’une récrimination fondamentale contre les croyances et la crainte qu’elles engendrent chez notre auteur, est tout entier inscrit dans le fétichisme. En effet, ce degré zéro de la croyance, pratiquement naturel si on peut dire chez les hommes, renferme une problématique fondatrice d’une philosophie du monde très complexe. Nous nous proposons d’en aborder les fondements au travers d’un charmant petit chien…
Effectivement, il n’est sans doute pas, dans l’œuvre francienne, de personnage plus anodin que Riquet, le petit chien de monsieur Bergeret[1]. Nous pouvons nous pencher avec profit sur les pensées de ce curieux canin, pensées tout empreintes d’une douce naïveté,[2] cachant vraisemblablement une critique très âpre de la tendance endémique des hommes en la croyance.
Ce chien est anthropomorphique dès sa présentation ; il a “une petite tête noire qu’[éclaire] le regard de ses yeux humains[3].” Il forme un couple paradoxal, homothétique autant qu’antithétique, avec M. Bergeret[4] ; un curieux rapport s’est instauré entre l’humain et l’animal, un rapport tout inscrit dans ce que nous pourrions appeler un darwinisme moqueur[5] : “C’est un compagnon. Les animaux ne diffèrent pas essentiellement des hommes. Leurs organes ressemblent aux nôtres ; leur pensée est proche de la nôtre. Ce sont des parents[6].” Sur le ton de la boutade, M. Bergeret remarque dans son humanisme moderne un grand parallélisme entre le chien et l’homme : ils sont tous deux fétichistes.
“Madame, [Riquet] est fétichiste. Telle est sa doctrine. Il a cette intelligence de la nature et il n’en a point d’autres. […] Il attribue aux objets qui l’entourent une puissance maligne ou bienfaisante, une volonté favorable ou contraire, qu’on peut changer par la prière et la supplication. Il croit que son sort dépend de la volonté des fétiches dont il est entouré. Il n’a aucune idée de la constance des lois qui gouvernent la nature. Il croit à tous moments changer le sort par ses plaintes ou ses cris. La méditation de l’inflexible destinée ne le désespère pas[7].”
Les théories de l’anthropologue Edward Burnett Tylor[8], durant la seconde partie du XIXe siècle, expliquent à merveille la manière dont Anatole France traite des pensées “fétichistes” de Riquet. Ces idées sont très en vogue à l’époque où Anatole France médite sur la naissance des mythes fondée sur les naïves croyances, d’autant que notre auteur, toujours très curieux, mène des recherches poussées sur les sciences et l’anthropologie[9]. Depuis toujours “se dessine la passion d’Anatole France pour la science contemporaine[10].” La théorie de Tylor est très novatrice, et elle fait autorité (avec celle, quasiment en opposition, de Lewis Henry Morgan[11]) jusqu’à la Seconde Guerre mondiale[12].
Selon Tylor, le « primitif » croit en une séparation du corps et de l’âme, du fait de ses propres expériences psychophysiologiques : lorsqu’il rêve, par exemple, l’âme abandonne provisoirement l’enveloppe charnelle du corps, et vagabonde. La mort est une renonciation définitive au corps. C’est le même principe qui préside à l’extase – lors des transes –, à la maladie ou aux visions. Puisqu’on rêve des personnes décédées depuis longtemps, alors il est aisé de conclure en une survivance de l’âme après la mort.
De cette croyance naît logiquement le culte des ancêtres. Par analogie, les sociétés primitives auraient ainsi conclu à une existence de l’âme chez les animaux, les plantes, et même les objets apparemment inanimés. Ceci entraîne également la croyance en la « possession », qui est la visite d’une âme possédant un corps, et la croyance connexe dans l’incarnation en n’importe quel objet : c’est là l’origine du fétichisme.
En découle le culte de la Nature[13], et de ses formes particulières : le culte des rivières, des arbres, des animaux ; puis la divinisation se globalise à l’espèce entière : on en arrive à la divinité des rivières, à une autre des forêts, etc… ainsi vient le polythéisme, avec ses divinités qui protègent les différentes activités humaines (naissance, mariage, mort, amour, agriculture, guerre…)
Finalement, on arrive au monothéisme par diverses manières: en jugeant que l’un des dieux du panthéon est plus puissant que tous les autres ; ou encore en calquant la structure hiérarchique de la société sur le panthéon, qui devient donc régi par un roi des dieux ; ou enfin en imaginant l’univers animé par la plus grande divinité (Tylor parle d’anima mundi, « l’âme du monde ».) Dès lors, le vrai monothéisme est la conséquence logique d’une très longue évolution religieuse, initiée par la croyance en l’existence de l’âme autonome[14].
Les « Pensées de Riquet » montrent qu’Anatole France a quelque sympathie avec cette vision théorique des choses. Les croyances naïves peuvent être un fait organisateur de la société, et de la vision du monde des humains.
“Nous sommes tous enclins à l’adoration. Tout nous semble excellent dans ce que nous aimons, et cela nous fâche quand on nous montre le défaut de nos idoles. Les hommes ont grand’peine à mettre un peu de critique dans les sources de leurs croyances et dans l’origine de leur foi[15].”
Ces dernières n’entraînent-elles pas l’homme vers le faux et le mensonge, dans ce cas, au fil d’un temps qui n’y changerait rien ?
“Tout progrès, le meilleur comme le pire, est lent et régulier. Il n’y aura pas de grand changement, il n’y en eut jamais, j’entends de prompts et de soudains. […] Notre état social est l’effet des états qui ont précédé, comme il est la cause des états qui le suivront. Il tient des premiers, comme les suivants tiendront de lui. Et cet enchaînement fixe pour longtemps la persistance d’un même type ; cet ordre assure la tranquillité de la vie[16].”
ceci montre donc l’enjeu fondamental des naïves pensées de Riquet : et si ces anodines croyances initiaient une vision dogmatique et faussée du monde, que l’humanité traînerait comme un boulet à travers des âges?
Selon Bergeret, les chiens restent des chiens, ont toujours été et seront toujours des chiens, et s’ils évoluent, ils ne peuvent que rester fidèles à leur insurpassable nature canine. Mais n’est-ce pas aussi le cas de l’homme ?
“Les hommes, pour la plupart, ne se font pas de la nature une idée bien différente de celle que se fait Riquet. Leurs organes plus complexes, en leur procurant des connaissances plus variées, leur donnent sujet de se tromper plus abondamment, d’une façon plus inepte et plus féroce, voilà tout[17] !”
Dès lors, analyser les « pensées » de Riquet, c’est analyser les croyances humaines les plus primitives[18]. Riquet est un miroir allégorique des croyances primitives de l’homme. Bergeret, en lisant les pensées canines dans les yeux du chien et en les consignant dans un petit carnet jaune, dresse alors une philosophie du monde de l’animal.
“Et que voulez-vous que ce soit, madame, sinon une physique, une métaphysique et une éthique, un système du monde, une philosophie canine ? Cela ressemble à l’œuvre d’Aristote dans la mesure où Riquet lui-même ressemble au Stagirite[19]. C’est-à-dire un peu[20].”
Cette philosophie du monde, polémique, montre combien l’homme voit l’univers au travers d’un filtre réducteur et égoïste, fondant sa perception sur ses croyances immédiates :
“On voit tous les jours des ignorants qui se croient l’axe du monde. Hélas ! chacun de nous se voit le centre de l’univers. C’est la commune illusion. Le balayeur de la rue n’y échappe pas. Elle lui vient de ses yeux dont les regards, arrondissant autour de lui la voûte céleste, le mettent au beau milieu du ciel et de la terre[21].”
Nous pouvons rapprocher cette réflexion de la première pensée de Riquet :
“I. Les hommes, les animaux, les pierres grandissent en s’approchant et deviennent énormes quand ils sont sur moi. Moi, non. Je demeure toujours aussi grand partout où je suis[22].”
La métaphysique est donc une recherche dont il faut se méfier, car si les vérités qu’elle énonce sont d’apparence cohérente, elles sont toutefois issues du regard humain, dans toutes ses imperfections. La métaphysique rejoint une vaine théorisation des croyances, elle hisse les croyances au degré du dogme. C’est ce que nous pouvons constater en nous penchant sur les pensées du petit chien[23].
Les pensées de Riquet sont présentées sous une forme plus ou moins aphoristique, dont la forme brève tend à une valeur sinon moralisante, du moins universalisante[24]. Il est ainsi frappant de constater que le chien déifie tout ce qu’il ne comprend pas. Il nomme l’inconnu de manière globalisante ; ce qui est nommé dieu, piété, sagesse, est habillé par la sécurité familière du verbe, et s’applique donc de façon commode à tout ce qui est inconnu ; par exemple, la chaleur:
“IV. Mon maître me tient chaud quand je suis couché derrière lui dans son fauteuil. Et cela vient de ce qu’il est un dieu. Il y a aussi devant la cheminée une dalle chaude. Cette dalle est divine[25].”
La naissance de la divinité dans l’esprit de Riquet est déclenchée par son incompréhension vis-à-vis de l’univers qui l’entoure. Ici, la chaleur bienfaisante n’a pas de cause autre que la divinité : tout ce qui est chaud est donc habité par le même caractère divin. Naît un dieu là où la zone d’ombre perdure dramatiquement. Mieux, la généralisation chaleur/déité créée par l’ignorance de Riquet, lui suffit pour expliquer toute cause de chaleur. Faut-il s’en étonner ? De cet inconnu enfin nommé dieu –ou âme, de cet inconnu spiritualisé ou animé, naît une ébauche de religion ;
“IX. On voit dans le sommeil des hommes, des chiens, des maisons, des arbres, des formes aimables et des formes terribles. Et quand on s’éveille, ces formes ont disparu[26].”
Ce milieu animé donne une orientation stabilisante et sécurisante à une vie qui sinon serait vide de sens, emmaillotée et ceinturée par l’obscur.
“XIV. Un chien qui n’a pas de piété envers les hommes et qui méprise les fétiches assemblés dans la maison du maître, mène une vie errante et misérable[27].”
Dès lors, l’enjeu de ces maximes est important ; si les chiens sont fétichistes, ils peuvent donc croire et fonder une religion.
“Par « religion », nous entendons, pour les besoins de cette discussion, la croyance en une Intelligence, ou en des Intelligences non humaines, et indépendantes du mécanisme concret du cerveau et du système nerveux, qui pourraient ou non puissamment contrôler les destinées des hommes et la nature des choses. Nous voulons également rajouter la croyance selon laquelle il y a, dans l’homme, un élément de la même nature que ces Intelligences, qui peut transcender la connaissance issue des sens corporels et cognitifs. Ces deux croyances actuellement (bien que pas nécessairement dans leur origine) apparaissent principalement comme la foi en Dieu et en l’Immortalité de l’Âme[28].”
Désormais, nous pouvons clairement entrevoir les enjeux d’un tel fétichisme, aux allures pourtant tellement enfantines. Ils sont fondamentaux : si un chien peut créer une religion inhérente à ses croyances, aussi ridicule soit-elle, en quoi une religion humaine descendant du fétichisme serait-elle moins ridicule que celle de Riquet ? Il n’existe pas de civilisation humaine qui ne se soit fondée sur la croyance ;
“Nous n’avons par conséquent, en somme, aucune occasion d’observer, historiquement, un développement humain provenant d’un vide incrédule envers même la plus minime et rudimentaire forme de croyance. […] Nous n’avons pas trouvé de race dont l’âme, ainsi que la foi, soit une tabula rasa.[29].”
Ainsi, nous pouvons penser que selon Anatole France, et dans la tradition de la pensée anthropologique de son temps, les dieux et la religion sont endémiques à l’homme[30]. La métaphore du chien qui ne vit qu’au travers d’un fétichisme naïf, ne fait qu’appuyer l’aspect ridicule de ces croyances absurdes, qui fondent pourtant le sens de nombreuses civilisations.
Anatole France, comme de coutume, arase donc ces croyances par l’arme de la moquerie.
“XVI. Les hommes exercent cette puissance divine d’ouvrir toutes les portes. Je n’en puis ouvrir seul qu’un petit nombre. Les portes sont de grands fétiches qui n’obéissent pas volontairement aux chiens[31].”
De là à tirer de ces croyances une éthique organisant, au travers d’interdits moraux, une praxis[32], il n’y a qu’un pas que Riquet franchit allègrement, même s’il prétend, dans toute sa foi naïve, “adorer sans chercher à […] comprendre[33].” Les croyances de Riquet entraînent des observances, des « il faut » :
“XVII. La vie d’un chien est pleine de dangers. Et pour éviter la souffrance, il faut veiller à toute heure, pendant les repas, et même pendant le sommeil. – XVIII. On ne sait jamais si on a bien agi envers les hommes. Il faut les adorer sans chercher à les comprendre. Leur sagesse est mystérieuse[34].”
La morale est alors asservie à la naïveté, et ses valeurs fausses dirigent les actes du chien –métaphoriquement les actes humains –au nom d’une chaîne d’interdits purement arbitraires[35]. Anatole France n’aura de cesse de dénoncer cet état de fait, qu’il juge ici inadmissible. Est-ce à dire que la religion et la morale naissent ainsi des croyances fausses et naïves chevillées à la constitution humaine, et donc que ce statut de l’humain noyé dans la fausseté est inscrit anthropologiquement et irrémédiablement dans ses gènes ? Notre auteur semble le craindre[36].
Ce que nous devons ici mettre en relief, réside dans le fait que c’est bien la crainte de l’inconnu qui fait croire…
“XIX. Invocation. Ô Peur, Peur auguste et maternelle, Peur sainte et salutaire, pénètre en moi, emplis-moi dans le danger, afin que j’évite ce qui pourrait me nuire, et de crainte que, me jetant sur l’ennemi, j’aie à souffrir de mon imprudence[37].”
Cet explicite vocatif personnifie et rend tabou l’inconnu, en le nommant Peur (avec une majuscule.) C’est bien le fétiche de la Peur, dans l’œuvre francienne, qui semble entraîner la négation de tous les questionnements[38]. Dès lors, croyance et crainte sont une dyade indissociable. Crainte et religion reposent sur les mêmes soubassements irrationnels, qui poussent l’homme à une praxis dirigée par de vaines croyances qu’Anatole France refuse. Les pensées de Riquet, au travers d’une parodie métaphysique, demandent au lecteur une nécessaire méfiance vis-à-vis des croyances immédiates. Le fétichisme est le fondement de toutes les faussetés. Cette méfiance est la condition sine qua non de toute recherche d’un logos.
[1] Nous retrouvons Bergeret, ce personnage emblématique similaire au Monsieur Teste de Paul Valéry, dans beaucoup de nouvelles ou de romans d’Anatole France, de Crainquebille, Putois, Riquet aux quatre tomes de Histoire contemporaine.
[2] On retrouvera les « Pensées de Riquet » dans Crainquebille, Putois, Riquet, Pléiade, tome III, p.765-769. Elles paraissent dans Le Figaro du 28 février 1900, « Histoire contemporaine – Riquet », fin de l’article. Cet article est par ailleurs reproduit – avec d’autres – en appendice de M. Bergeret à Paris, Pléiade, tome III, p.421-425.
[3] Article du Figaro du 28 février 1900, in Pléiade, tome III, p.421.
[4] “Madame, ce chien est à cet homme comme cet homme est à ce chien. Riquet dépend de moi et je dépends de lui. Je lui appartiens puisqu’il m’appartient. On est possédé par ce qu’on possède. C’est la loi universelle.”, ibid.
[5] Sur l’étude des influences du darwinisme chez Anatole France, voir infra,I.1.2.d, p.63.
[6] Anatole France, ibid. La génétique contemporaine donnera entièrement raison à Anatole France, car la ressemblance entre les patrimoines génétiques de tous les mammifères est plus que troublante (de l’ordre de 98%).
[7] Ibid., p.421-422.
[8] E. B. Tylor, Primitive culture : Researches into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Art and Customs, I et II, Londres, 1871, traduction de P. Brunet et E. Barbier sous le titre La Civilisation primitive, Paris, 1876-1878.
[9] Sur les rapports entre Anatole France et les théories de Lyell et Spencer, voir infra, I.1.2.d, p 63.
[10] Marie-Claire Bancquart, introduction Pléiade, tome I, p.XXXVIII.
[11] Voir L. H. Morgan, Ancient Society, Londres, 1877, rééd., intro. L. White, Cambridge (Mass.), 1965, traduit par H. Jaouiche sous le titre La Société archaïque, Anthropos, Paris, 1971, 2ème éd. 1985. Morgan n’est autre que le fondateur de la science anthropologique sociale. La théorie de Morgan est en opposition avec celle de Tylor, puisqu’elle exclut des champs de l’anthropologie l’étude des religions « primitives » ; Morgan y voit des simagrées grotesques, tout en amputant sans le savoir l’anthropologie de l’un de ses fonds d’analyse les plus essentiels.
[12] La théorie de l’animisme est relayée alors par les discussions sur la « magie » et le « sacré » de Durkheim et de Malinowski. Voir E. E. Evans-Pritchard, La Religion des primitifs à travers les théories des anthropologues, Payot, Paris, 1971.
[13] Il s’agit du naturisme.
[14] Cette théorie de Tylor a directement influencé Auguste Comte et Herbert Spencer, qui voyaient dans le fétichisme et le culte des ancêtres l’origine de la religion.
[15] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, p.86.
[16] Anatole France, ibid., p.100-101.
[17] Anatole France, Article du Figaro du 28 février 1900, ibid., p.422.
[18] Il est évident que cette analogie est ridicule, et c’est cette allure parodique qui fait son charme. Cependant, cette parodie dans le fond ironique et amère peut faire réfléchir le lecteur de façon toute voltairienne au statut même de la croyance. D’autre part, nous soulèverons la problématique du Christianisme primitif, très prégnante chez Anatole France, infra, I.2.1.c, p.143.
[19] Aristote est né en 385-384 à Stagire, petite ville de Macédoine non loin de l’actuel mont Athos. La comparaison entre Aristote, ce philosophe fondamental qui énonce les catégories qui structurent le langage et la pensée de l’homme, et Riquet, est évidemment pure provocation.
[20] Anatole France, ibid.
[21] Anatole France, Le Jardin d’Epicure, p.71.
[22] Anatole France, Article du Figaro du 28 février 1900, ibid., p.423.
[23] Evidemment, dire de la métaphysique qu’elle est dangereuse pourrait paraître doctrinaire, et c’est pourquoi Anatole France use de cette animale transposition pour dissiper tout malentendu : dénoncer les dogmes sans être dogmatique, c’est la mission du petit chien Riquet.
[24] Selon Bernard Dupriez, “la maxime, par sa généralité, semble propre à refaire une conception du monde, et peut donc répondre à une plainte, exprimer un complexe.”, dans Gradus, les procédés littéraires, article « Maxime », remarque 2, p.281. Voir M.-P. Berranger, Dépaysement de l’aphorisme, Corti, 1987.
[25] Anatole France, ibid.
[26] Anatole France, ibid.
[27] Anatole France, ibid., p.424.
[28] Andew Lang, « The Early Sociology of Religion », “The Making of Religion”, p.51, volume IV, edité par B. S. Turner, Routledge/Thoemmes Press, Londres, 1997. C’est nous qui traduisons. Voici l’extrait original : “By ‘religion’, we mean, for the purpose of this argument, the belief in the existence of an Intelligence, or Intelligences not human, and not dependant of brain and nerves, which may, or may not, powerfully control men’s fortune and the nature of things. We also mean the additional belief that there is, in man, an element so far kindred to these Intelligences that it can transcend the knowledge obtained through the known bodily senses, and may possibly survive the death of the body. These two beliefs are present (though not necessarily in their origin) appear chiefly as the faith in God and in the Immortality of the Soul.” Il faut noter ici que les travaux de Andrew Lang datent bien de la seconde partie du XIXe siècle.
[29] Andrew Lang, ibid., p.53. “We have thus, in short, no opportunity of observing, historically, man’s development from blank unbelief into even the minimum or most rudimentary form of belief. […] We find no race whose mind, as to faith, is a tabula rasa.” (C’est nous qui traduisons.)
[30] Plus près de nous dans le temps, Jung semble persuadé de la même chose : “Je dis pourtant que tout, vraiment tout ce qu’on déclare de Dieu est déclaration humaine, c’est-à-dire est psychique. L’image que nous avons de Dieu, ou que nous nous en faisons, ne serait donc jamais « séparée de l’homme » ? Buber peut-il me montrer où Dieu a produit sa propre image détachée de l’homme ? Comment peut-on constater pareille chose et qui peut le faire ? […] Sans l’aide de l’homme, Dieu a donné lui-même une image d’une magnificence inconcevable en même temps que d’une inquiétante contradiction et il l’a mise dans l’inconscient de l’homme comme archétype, non pas pour que les théologiens de tous les temps et de tous les lieux en fassent l’objet de leurs querelles, mais pour que l’homme sans arrogance puisse dans la paix de son âme regarder une image qui lui ressemble et qui soit faite de sa propre substance psychique, une image qui a en elle-même tout ce qu’il pourra jamais concevoir sur les dieux ou sur les fondements de son âme.”, lettre du 22 février 1952 à l’éditeur, parue dans Merkur, VI/5, Stuttgart, mai 1952, p.467-473.
[31] Anatole France, ibid.
[32] Ici réside un autre « point commun » entre Riquet et Aristote. Par exemple, dès le début de l’Ethique à Nicomaque, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1959, Aristote utilise l’exemple des techniques (médecine, construction navale, stratégie, économie) pour faire comprendre que chaque activité humaine est orientée vers vers un bien, qui est sa fin. Chaque activité a sa fin subordonnée à une autre, qui lui est hiérarchiquement supérieure (par exemple, l’art hippique est subordonné à la stratégie, subordonnée elle-même à la politique (1094 a 10-20, b3)). Reste à savoir ainsi quelle est la fin dernière et la plus haute de l’homme, la fin qui ne se subordonne à aucune fin. Riquet se livre lui aussi, dans une acception canine, à un essai praxéologique (science des différentes manières d’agir). Là encore, le parallélisme entre l’un de nos plus grands philosophes et le petit chien est purement polémique, et très irrévérencieux.
[33] Anatole France, ibid.
[34] Anatole France, ibid. C’est nous qui soulignons.
[35] A la limite, il s’agit d’une sorte de calque du Lévitique, qui est de dresser une taxinomie praxéologique du pur et de l’impur, et donc de ce qui est autorisé ou interdit. Voir Julia Kristeva, « Sémiotique de l’abomination biblique », in Pouvoirs de l’horreur, essai sur l’abjection, Seuil, 1980, et particulièrement les p.128 (bas)-130 : “Rien n’est sacré en dehors de l’Un. A la limite tout le reste, tout reste, est abominable.”
[36] Nous étudierons plus loin (voir infra, I.2) les problématiques franciennes liées au christianisme et au gnosticisme. Ici, nous nous bornerons au refus des croyances de la part d’Anatole France.
[37] Anatole France, ibid.
[38] Il ne faut pas confondre, chez Anatole France, peur et inquiétude ; l’une est irrationnelle, donc dangereuse, et n’a pas de raison d’être, tandis que l’autre est le soubassement du questionnement salvateur et libérateur : “Une chose surtout donne de l’attrait à la pensée des hommes : c’est l’inquiétude. Un esprit qui n’est point anxieux m’irrite ou m’ennuie.”, souligne-t-il dans Le Jardin d’Epicure, p.89.
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