€2,99
Amour souffre de son prénom ridicule depuis toujours, ce qui l’a rendu au moins philosophe. Après l’avoir licencié en mathématiques et diplômé docteur en anthropologie, le destin a fait de lui un flic. Un flic qui n’a rien demandé, sinon un peu de sérénité et de recul pour trouver un sens à sa vie. Car son amour, justement, a été emportée à 36 ans par un cancer du sang. Il se croyait à l’abri de la souffrance et des souvenirs à Angers, une ville où il ne se passe jamais rien. Mais lorsqu’un meurtrier en série tueur de suicidaires se met à jouer au chat et à la souris avec la police, à travers des énigmes mathématiques et le jeu du tarot, Amour se voit dans l’obligation d’enquêter dans les milieux tabous de SOS Amitié. Ce qu’il va y découvrir dépasse son esprit rationnel. Sa quête va le mener à embrasser un nouveau genre de mort. Pas celle que l’on peut côtoyer quotidiennement en tant que flic. Plutôt une mort sophistiquée, ravageuse et pleine de sens, qui taraude tout être humain en filigrane, chaque seconde qui passe, la mort inéluctable qui ôte toute envie de vaincre. Et Amour va vite apprendre que chaque destin mérite au moins un peu d’attention : non, les apparences ne suffisent pas à trouver un sens à la vie…
Dans ce thriller sombre au rythme forcené – âmes sensibles, s’abstenir… – vous êtes invité à regarder la mort dans les yeux. Oserez-vous faire de l’objectif vital d’Amour – mettre un nom sur le Mal – le vôtre ?
Amour se gara place Ney sous les arbres denses et éteignit sa radio. Une petite fontaine glougloutait paisiblement dans le froid, offrant à la place urbaine une présence sonore de haute montagne. Il descendit en urgence de sa Lancia et s’engouffra, à pied, dans la glaciale rue Montrieux. Ses pas cognaient dans la nuit.
De nombreuses voitures de police barraient la chaussée, flashant des éclairs bleus apocalyptiques. Il arbora dans un geste automatique son insigne de policier aux flics qui encadraient l’entrée du petit pavillon. Rien ne peut barrer ma route pour constater la mort.
_ Bonjour, Commandant Dupéant. Bienvenue au pays merdique d’une scène de crime particulièrement gratinée. J’ai juste jamais vu un truc pareil…
_ Una salus victis !.. C’est si horrible que ça ?…
Marc-Antoine vint à sa rencontre.
_ Salut, Momo ! Viens, tu constateras par toi-même le carnage. J’espère que t’as rien bouffé avant de venir.
Amour serra la main de Marc-Antoine et se prépara à ce qu’il allait voir. Il ne servait à rien d’être un peu psychologue si c’était pour vomir corps et âme devant la moindre flaque de sang. Le vertige vagal se domine. Il mâchouilla un cure-dent parfumé à la menthe en se disant que cette fois, il était vrai que le personnel semblait très marqué. Ça démarrait mal.
Lorsqu’il pénétra dans la petite chambre toute défraîchie, il eut un haut-le-cœur. Sur le lit défait, le corps d’un homme au ventre découpé en lanières profondes gisait dans un lac de sang qui se répandait jusque sur le parquet. Des organes étaient disséminés tout autour du corps. Ils étaient mélangés dans ce sang abondant et ferreux. Il y en avait partout, du sang, sur les murs, sur le sol, sur les draps, même sur le plafond. On aurait dit qu’il avait été méthodiquement éclaboussé pour rendre une exceptionnelle et violente mise en scène. Il était coagulé, d’un ocre tirant sur le roux. Dupéant regarda Marc-Antoine désolé, qui lui rendit un semblant de sourire. L’odeur était épouvantable.
Des lieutenants de la scientifique cherchaient scrupuleusement des indices. Aragon, le médecin légiste, un petit homme boudiné et au crâne dégarni, salua les deux policiers d’un air guilleret. Amour s’approcha de lui.
Aragon était une figure très connue dans les milieux judiciaires angevins. Pour tous, il passait pour un dangereux psychopathe qui aurait vaincu ses pulsions de meurtre en farfouillant avec une sorte de plaisir ineffable les cadavres, ses préférés étant ceux ayant eu droit à une mort violente. Il leur faisait, au nom de la loi, subir leurs dernières humiliations. Tout le monde faisait son possible pour l’éviter. Son humour faisait des ravages chez les jeunes policiers qui parfois couraient vomir tripes et boyaux, ce qui lui procurait une vraie jouissance, comme une manière de compenser sa petite taille par la supériorité de sa posture. Amour lui parlait toujours avec une grande méfiance.
_ Alors, toubib ? Tu peux me faire un premier rapport ? Sale journée aujourd’hui…
Aragon se frotta les joues avec ses gants en latex. Des cernes bistraient son visage ovoïde et ses oreilles rouges décollées le faisaient ressembler à un poisson-lune.
_ Sale journée, pour toi peut-être… Pour ce mec sûrement. Mais pas pour moi, ce cas est passionnant ! D’une part, comme tu le vois, Momo, il n’y a pas de trace de lutte. Le type a pourtant été découpé d’une façon spéciale, presque scientifiquement. C’est comme si on avait voulu isoler précisément ses organes : foie, cœur, rate, pancréas sont déposés à côté de lui et ne sont pas abîmés. Précision chirurgicale. J’admire le boulot, faut connaître l’anatomopathologie pour faire ça. Tu vois, le tueur, c’est comme un collègue !
Une lueur d’admiration brillait dans les yeux d’Aragon. Il poursuivit en expert.
_ Par contre, le ventre du type a été lacéré à la sauvage – tu vois les festons sur les lèvres de la plaie ? — choix que je qualifierai de faute professionnelle. Rien ne vaut un bon scalpel. Ça me rend encore plus admiratif quand je vois la précision de ce que j’appellerai pudiquement la dissection. Donc, couteau ou assimilé, une arme blanche relativement longue, vraiment, qui semble l’arme habituelle, mais il faudra compléter. On compte neuf incisions à hauteur du mésentère. Le sexe de la victime porte encore un préservatif plein, comme si le type avait fait l’amour avant de mourir. Bref, à la variante des organes disséminés autour du corps près, je pense que c’est le même meurtrier qui s’est occupé de mon patient ici présent, de Fabrice Bateson le 22 février, et de Jacques Bleuler le 1er mars. Je suis même prêt à parier qu’on retrouvera sur la capote les mêmes substances et cellules vaginales à l’ADN inconnu que les deux dernières fois.
_ Cellules vaginales inconnues au bataillon, en effet, soupira laconiquement Marc-Antoine qui s’était rapproché en dominant son dégoût.
Amour regarda le corps avec écœurement. Le tueur abat sa troisième carte. Le policier avait sorti sa tablette et prenait des notes. Il remercia le légiste et appela les lieutenants de la criminelle.
_ Bon, les gars, de nouveaux indices, cette fois ?
_ Oui, patron. On a trouvé ça sur la table de chevet. Sinon, rien de plus que pour les affaires Bateson et Bleuler. C’est le même loulou qui a dû opérer. On passe la maison au peigne fin, mais on ne se fait pas trop d’illusions… C’est net et surtout sans traces. Encore une fois, on ne va pas retrouver de fibres textiles ni de cheveux. Le connard qui a fait ça connaît ici aussi toutes nos pratiques, rien ne dépasse, il doit être habillé de pied en cap pour faire sa besogne. Un vrai chirurgien, ce salaud !
Amour passa des gants et saisit l’enveloppe kraft que le jeune homme venait de lui tendre.
Il lut un message écrit à l’imprimante jets d’encre.
_ Ψ Règle du jeu : La Nouveauté. Aujourd’hui à Angers Freud est mort. C’est moi maintenant, SOS Amitié. Je suis l’Hermite. Je suis deux fois la Mort en premiers. Par moi, La Papesse et la Roue de Fortune ne font qu’un. Qui saura me lire sauvera des vies. Sinon rien ne m’arrêtera. À bientôt mes chéris ! La Mort vous embrasse… Ψ
Suivait une invraisemblable suite de chiffres :
_ 72 357 000 075 399 399 062 536 551 936 985 438 563 213 300
021 457 851 462 516 116 163 233 411 062 531 598 748 974 777 778
473 736 978 399 399 072 431 270 079 399 399 047 589 777 768
520 790 040 254 777 761 220 503 065 436 551 970 473 736 975
399 399 040 585 490 045 287 777 767 820 790 020 215 781 432
155 138 562 020 790 045 897 777 751 211 001 048 782 777 760
233 411 025 478 921 475 502 467 075 399 399 065 816 116 165
20 790 040 254 490 026 844 541 465 233 411 072 413 454 378
399 399 072 473 736 949 002 777 765 231 598 721 256 961
475 399 399 063 216 116 175 431 270 069 816 116 161 315 987
402 587 777.
Amour relut encore le message. Il pensa tout haut :
_ Toujours cette merde… Tu as vu ça, Marc-Antoine ?
Ce dernier parcourut la feuille de papier et se gratta les cheveux.
_ C’est encore pire que du Chinois. L’Hermite doit être complètement cintré… Tu vois, Momo, la vie est dure. Mais depuis que tu es mon patron, elle l’est moins pour moi et plus pour toi. Ça me console, en quelque sorte. C’est pas toujours aux mêmes d’en chier. Plus on tardera à arrêter ce fou, plus tu en prendras dans la gueule, et c’est ma consolation personnelle.
Avis
Il n’y pas encore d’avis.